Le Siècle des Lumières fut une aube radieuse, celle de la Raison souveraine, promettant le progrès par le savoir, l’émancipation de l’individu et des échanges éclairés. Les philosophes rêvaient d’un monde où la connaissance dissiperait l’obscurantisme, où le commerce adoucirait les mœurs et où la liberté individuelle fonderait un ordre social juste. Une vision noble, un horizon lumineux pour l’humanité.

Mais l’enfant des Lumières, la Révolution Industrielle, grandit vite, trop vite peut-être. La machine à vapeur, symbole de ce progrès fulgurant, devint aussi le moteur d’une transformation brutale. L’idéal de progrès se mua en course effrénée à la production, l’émancipation individuelle fut souvent sacrifiée sur l’autel de l’usine, et les échanges éclairés laissèrent place à une globalisation vorace, creusant les inégalités et marquant la nature d’une empreinte profonde. Ce fut une période de chaos créateur, certes, mais aussi d’une centralisation massive du pouvoir économique et d’une exploitation parfois aveugle des ressources, humaines comme naturelles. La promesse des Lumières semblait par moments trahie, ou du moins déformée par l’ampleur et la vitesse du changement.
Aujourd’hui, alors que les échos de ce tumulte industriel et globalisé résonnent encore, une nouvelle aube pointe, murmurant le nom de l’Ère du Verseau. Cette vision, puisée dans le document « Thèmes de l’Économie de l’Ère du Verseau« , n’est pas un retour en arrière, mais une potentielle synthèse, une réconciliation. Elle reprend l’outil forgé par les siècles précédents – la technologie – mais cherche à l’infuser d’une nouvelle conscience.
L’innovation, chère aux Lumières et magnifiée par l’industrie, se rêve ici décentralisée. La blockchain et les réseaux pair-à-pair esquissent une économie moins dépendante des grands centres de pouvoir, rappelant l’idéal d’autonomie individuelle et collective. L’accent mis sur l’information, le savoir et la collaboration résonne avec l’encyclopédisme des Lumières, mais à l’échelle planétaire et instantanée du numérique. Surtout, une dimension nouvelle émerge avec force : la conscience sociale et écologique. L’humanitarisme, autre valeur cardinale des Lumières, s’élargit pour embrasser la planète entière, prônant la durabilité, l’éthique et peut-être même un changement de valeurs fondamental, où le bien-être collectif et l’équilibre avec la nature pèseraient autant que la richesse matérielle.
C’est ici que la figure de Jean-Jacques Audubon prend tout son relief. Cet artiste naturaliste, arpentant les forêts américaines au début du XIXe siècle, en plein essor industriel, semblait nager à contre-courant. Alors que les usines commençaient à cracher leur fumée, lui s’émerveillait devant le plumage d’un oiseau, cataloguant avec une précision obsessionnelle la beauté fragile d’un monde que la marche du « progrès » commençait à menacer.

Audubon avait-il trois siècles d’avance ? Peut-être pas au sens économique ou technologique direct. Mais dans sa sensibilité, dans son regard, sans doute. Il incarnait une forme de connaissance profonde et respectueuse du vivant, une collecte méticuleuse d’informations sur la nature (préfigurant l’ère de la donnée ?) et une conscience aiguë de la valeur intrinsèque du monde naturel, bien avant que les termes « écologie » ou « durabilité » ne deviennent courants. Son œuvre, monumentale, apparaît comme un témoignage précoce de ce que l’humanité risquait de perdre dans sa course en avant. En ce sens, il portait en lui une part de cette conscience que l’Ère du Verseau, dans ses aspirations les plus nobles, cherche peut-être à retrouver : une réconciliation entre l’ingéniosité humaine (sa technique artistique et scientifique) et le respect du tissu vivant dont nous faisons partie.

Ainsi, le voyage des Lumières vers l’hypothétique Ère du Verseau n’est pas linéaire. C’est une spirale, où les idéaux anciens sont revisités, transformés par les épreuves de l’histoire (le chaos industriel, la globalisation) et ré-émergent, enrichis, porteurs d’une nouvelle sagesse. L’économie de demain, si elle suit cette voie aquarienne, pourrait être celle où la raison des Lumières s’allie enfin à une conscience élargie, celle qu’un artiste comme Audubon, observant passionnément les oiseaux, nous rappelait déjà il y a près de deux siècles.